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Sous-consommation : entre idéaux et frustrations
Bordeaux. Prendre l’autoroute sur un coup de tête, pour rompre avec le sérieux du quotidien. Vivre une journée de consommation pure, impulsive, désordonnée ; plonger dans un bain de foule bouillonnant, avant de retrouver l’austérité de ma campagne Périgourdine.
Dès le plus jeune âge, je me suis montrée sensible aux questions environnementales, au bien-être animal, à la justice sociale. Le monde serait évidemment meilleur si tous les enfants allaient à l’école, si les hommes et les femmes qui produisent notre alimentation mangeaient eux-même à leur faim, si on laissait la forêt amazonienne et les grands singes tranquilles. Pourtant, ces idées ne m’ont pas empêchée de changer de smartphone tous les ans, de remplir mes placards de vêtements bon marché et de me gaver de Nutella. Comme beaucoup de gens, j’ai eu du mal à trouver la cohérence, l’équilibre entre mes principes, mes désirs et mes contraintes.
Il y a d’abord eu la réduction de notre consommation de viande. La pose du Stop-Pub sur la boîte aux lettres. La télé qui n’a jamais été rebranchée après notre déménagement. La volonté d’aller vers le Zéro-Déchet et tout ce qui en découle : manger des produits frais, de saison, acheter en vrac dans des contenants réutilisables, cuisiner davantage. Le passage aux protections hygiéniques (et plus récemment aux masques!) lavables. La découverte, puis la fréquentation régulière de nouveaux lieux pour nos achats, notamment l’Emmaüs.
Notre choix de sous-consommer est maintenant pleinement conscient, volontaire, affirmé. Il découle d’une réflexion sur l’impact global de nos habitudes, et en particulier de nos achats. Il s’agit de penser aux dégâts générés à la fois sur l’environnement et sur l’humain par un produit au cours de sa vie entière : production des matières premières, transformation, transport, emballage, publicité, utilisation, collecte et traitement des déchets. Que les adeptes d’objets à batterie lisent Kivu, de Simon et Van Hammme.
Ne nous laissons plus berner par les arguments marketing des industriels qui surfent sur la vague du bio et de l’écologie. Nous ne sauverons pas le monde en achetant des baskets Veja venues de l’autre bout du monde, ou des petits gâteaux Bjorg dans leur bel emballage plastique. Un véritable « éco-produit » ne prend pas l’avion, n’a besoin que du bouche-à-oreille pour se vendre, et ne génère que des déchets compostables (ou pas de déchet du tout). En plus, il est accessible à la majorité de la population. Si si, c’est vrai !
Bref, nous tentons en permanence de trouver des alternatives à l’achat en neuf et à la malbouffe généralisée : emprunter, échanger, réparer si besoin, acheter d’occasion, passer par les producteurs locaux. Parfois, on rechute. Il y a des petits cadeaux futiles entre nous, à nos proches. De la frustration quand ma voisine part dans sa belle Scirocco bleue. Il m’arrive de dire à Quentin que ça suffit, de passer des heures dans la cuisine au lieu de vivre pleinement, et que ce soir, zut, ce sera une pizza Sodebo.
Lorsqu’on parle d’alimentation bio et/ou locale ou encore de produits respectueux, la question de l’argent arrive inévitablement sur le tapis (Oui, c’est plus cher). Vient ensuite la problématique du consensus au sein de la famille. J’admets que l’absence d’enfant et de soucis financiers nous a grandement facilité la tâche au départ, tout comme le fait d’être sur la même longueur d’onde avec mon mari.
Mais concrètement, nous n’avons jamais aussi peu dépensé ! Écologie et économie vont de pair. Vraiment.
A-t-on raison de vouloir vivre à contre-courant au nom de valeurs éthiques, au risque de passer à côté d’une partie des « bonnes choses de la vie » ? Ne perd-on pas notre temps à vouloir réduire notre impact, lorsqu’une immense majorité de la population mondiale – dirigeants politiques compris – continue d’agir comme si l’urgence climatique n’existait pas ? Et si notre action est objectivement vaine, faut-il s’obstiner?
Je n’ai aucune certitude. J’ai toutefois tendance à croire que ce sont les initiatives locales, discrètes mais concrètes et menées avec conviction, qui feront bouger les mentalités.
Le brocard « du jardin »
S’il y a bien quelque chose dont je ne me lasse pas, c’est la vue de la faune sauvage dans ce petit espace vert, bordé par les bois, juste derrière le jardin. Des geais, des écureuils, des sangliers, des chevreuils…
Et surtout UN chevreuil.
J’ai pris mes précautions au début. Photographier à travers les vitres, sans me faire voir. Entrouvrir la fenêtre, délicatement. Oser un premier pas dans le jardin en sa présence. Puis un deuxième…
Il s’est habitué aux humains dans les jardins, aux aboiement des chiens, au chant de mes perruches.
Par une belle soirée, je l’ai vu en lisère de bois, loin. N’y tenant plus, je suis sortie sur la terrasse. De fleur en fleur, ses fines pattes l’ont porté plus près. Dès le départ, il m’a sentie, il m’a vue, entendue, c’est certain. Et pourtant, l’élégante silhouette a continué son chemin, droit sur moi. A quelques tout petits mètres de moi.
Un quart d’heure de tête à tête, rythmé seulement par le clic de l’appareil photo et la décapitation de quelques fleurs. Nos deux curiosités face à face, son espièglerie contre ma fascination, sa gourmandise inconsciente face à la prédation potentielle. Je suis inoffensive, mais qu’en sait-il?
C’est le chat qui a mis fin à l’entrevue. Définitivement trop entreprenant pour un premier rencard.
Petites violences ordinaires
Je serais incapable de dire à quel moment les choses ont basculé. Tout s’est passé lentement, insidieusement.
De « Est-ce que ça te dérange si je m’absente fin avril ? » à « Je ne serai pas là ce week-end. »
De « Est-ce que ma sœur peut venir faire du vélo avec nous ? » à « C’est mieux si tu restes à la maison, tu ne pédales pas assez vite pour nous suivre. »
De « Je te trouve vraiment très jolie. » à « Ce serait bien que tu perdes un peu de poids. »
De « J’aimerais bien qu’on emménage ensemble. » à « J’ai mis tes affaires par terre pour que tu ranges. »
« Tu ne cherches pas à t’intégrer dans ma famille. »
« Il n’était pas bien terrible, ce gîte que tu as choisi pour les vacances. »
« Ta nouvelle coupe de cheveux t’a fait prendre dix ans. »
« Tu me manques de respect. »
« Tu ne fais aucun effort. »
« La moindre des choses, ce serait de… »
Les répliques sont toujours restées coincées au fond de ma gorge. Les marques de mépris que je recevais, jour après jour, étaient venues à bout de ma confiance en moi. Pire encore, j’avais fini par craindre l’homme qui régnait en despote dans ma propre maison.
« Je t’aime. » A chaque bisou, à chaque départ, à chaque fin de phrase. Comme un fruit avarié que l’on serait obligé de manger matin, midi, et soir. A en vomir.
De colères muettes en espoirs constamment déçus, mes sentiments ont fini par s’estomper. Puis il y a eu la phrase de trop, celle qui a enfin rendu la situation limpide.
« Mais qu’est-ce que tu fais d’intéressant dans la vie, toi, de toute façon ? »
J’en aurais hurlé de rage.
Il avait raison : dans son ombre, pliée en quatre pour tenter de satisfaire ses exigences, je n’étais plus qu’une version appauvrie de moi-même. Il était grand temps de remettre de l’ordre.
Bye bye, et Merci pour ce moment.